Maisons de cinéma : Charulata... à la maison Ciné-club mensuel présenté par Charlotte Garson

Les circonstances qui ont contraint les Cinoches à fermer provisoirement tronquent le ciné-club « Maisons de cinéma » de trois de ses séances – l’occasion de les organiser soi-même… à la maison !

Charulata : une femme à son balcon

 Un film de Satyajit Ray (Inde, VO, 1964, avec Madhabi Mukherjee, Soumitra Chatterjee, durée : 1h57). Ours d’argent du meilleur réalisateur – Berlinale 1965.

Disponible en VoD sur Universciné et La Cinetek, et en DVD, Les Films du Paradoxe.

À Calcutta, en 1880, alors que son mari la délaisse à cause de son implication dans un journal politique, Charulata se réfugie dans les arts. Se rendant compte de la solitude de la jeune femme, son mari invite son cousin Amal à l’aider dans ses aspirations littéraires. Charulata va devoir faire face à l’irruption de nouveaux sentiments...

Bansi Chandragupta, le chef-décorateur de Satyajit Ray, avait pour devise : « un décor ne doit exister qu’en fonction du scénario ». La splendide maison victorienne de Charulata, construite entièrement en studio, organise en effet toute la mise en scène. Le regard de la jeune épouse est soudain attiré par la visite de son beau-frère (Soumitra Chatterjee, l’acteur-fétiche de Ray), qu’elle aperçoit au-dehors avec ses jumelles : le choc de cette première vision depuis le balcon, soulignée par un zoom, programme le désir à venir, qui grandit encore autour de la chambre, au papier peint composé spécialement à partir d’un dessin de William Morris, et au centre de laquelle trône un lit deux places énorme – le cinéaste parlait dans sa correspondance de ce film, qu’il considérait comme le plus réussi, comme d’un « un vrai film de chambre (comme on dit musique de chambre) ».

Mais cette belle maison est un écrin qui menace toujours de se transformer en cage. Autant le mari possède chez lui une imprimerie, outil de travail et signe de sa productivité individuelle, de sa capacité à transformer le monde, autant l’épouse, réduite à orchestrer les allers et venues des domestiques, reste assignée au « nid » (le film est tiré de la nouvelle Le Nid brisé de Rabindranath Tagore). La venue de ce cher visiteur, qui a étudié à l’étranger, apporte littéralement un souffle nouveau, il redonne vie et sensualité à cet espace confiné – voir la scène de la balançoire au jardin, à l’évidence inspirée par Jean Renoir, que Satyajit Ray adorait et avait assisté lors du tournage en Inde du Fleuve. Cette séquence de séduction à la Partie de campagne, l’une des plus belles du cinéma, s’offre en moment privilégié, suspendu, au propre comme au figuré, laissant derrière elle la solidité de la maison et de l’imprimerie pour le transitoire, l’éphémère capiteux – les pages d’un poème d’amour et les fleurs du jardin.

Charlotte Garson